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LIVRE V

Formation de la doctrine

Aristotélicienne.




55. — Toutes rapides qu’elles sont, les réflexions qui précèdent sont propres à confirmer les résultats de l’examen auquel nous avions soumis les théories empiristes, Elles nous préparent à étudier les rapports de l’expérience et de la causalité, tels qu’ils se sont présentés en réalité à la conscience des philosophes et des savants, sans que nous risquions (ou avec la moindre chance que nous risquions) de les déformer en les subordonnant à des notions a priori, soit de la causalité, soit de l’expérience elle-même.

La plasticité dont l’esprit humain est susceptible, la diversité de ses réactions en face de la nature, observées aujourd’hui par les ethnographes, font comprendre qu’il se soit engagé dans des voies différentes, à travers les périodes dont l’histoire a gardé le souvenir. Pendant l’antiquité, d’une façon générale, et pendant le moyen âge, la signification attribuée à la causalité naturelle ne coïncide pas avec la signification moderne ; le centre de gravité de la notion n’est pas le même, ni le service qu’on en attend. Nous sommes en présence d’une forme spéciale de civilisation, que nous aurons à déterminer pour elle-même. Et ici, nous disposons d’un point de repère à tous égards privilégié : la doctrine aristotélicienne des quatre causes. Cette doctrine offre un système régulier de cristallisation, où chaque face reflète la même idée sous un jour particulier. Chercher à s’expliquer une chose, c’est se poser ces questions successives : Qu’est-ce que cette chose ? Comment s’est-elle produite ? De quoi ? Pourquoi ? On répond à la première question (Τίὲστί) par la connaissance de l’essence, forme ou quiddité, c’est-à-dire par la cause formelle, — à la seconde, par la cause motrice ou efficiente, — à la troisième, par la cause élémentaire ou matérielle, —