permet la régularité de la causalité, qui satisfait d’une façon complète à l’entendement. De telles conceptions sont donc de tout point comparables aux hypothèses qui introduisaient dans la physique d’autrefois, et dans la biologie, les qualités occultes et le principe vital. La mentalité que nous observons dans la phase où sont actuellement les sociétés non civilisées, s’apparente dans l’histoire de la civilisation à la pensée scolastique, qui est toute saturée de formation logique, mais qui, elle aussi, subordonne à la représentation métaphysique de la force la liaison naturelle des phénomènes dans l’espace et dans le temps. La mentalité primitive se caractériserait ainsi comme « préscientifique » plutôt peut-être que comme « prélogique ».
Ne perdons pas de vue d’ailleurs, afin de mesurer l’exacte portée de cette conclusion, qu’une semblable mentalité n’est pas bien éloignée de nous. La pratique de la science en matière physique ne s’est guère généralisée que depuis trois siècles. Encore, dans l’intervalle, la rigueur de la méthode intellectuelle s’est-elle détendue chez plus d’un esprit. Il n’a pas manqué de newtoniens qui, renchérissant sur Newton, allaient jusqu’à interpréter la formule de la gravitation comme si elle impliquait la réalité de l’action à distance. Aux yeux de John Stuart Mill, c’est témoigner d’un manque de compétence philosophique que de considérer comme absurde une chose si simple et si naturelle[1].
Et, même en négligeant les paradoxes des théoriciens, il reste qu’on lit, par exemple, dans les Mémoires de Godefroi Hermant, pour l’année 1654 : « Toute la France était dans l’attente d’une éclipse de soleil… Quelques astrologues avaient attribué à cet événement une si grande et extraordinaire malignité qu’une infinité de personnes tombèrent dans une épouvante qui tenait de la consternation. Le meilleur effet que produisit cette crainte fut que Dieu permit que plusieurs même s’en firent une heureuse nécessité de penser sérieusement aux affaires de leur conscience, pendant que les autres s’enfermaient ridiculement dans les caves pour se garantir des effets de cette prétendue défaillance de la nature… M. Gassendi, ajoute Hermant, avait été prié par une personne de considération de porter son sentiment sur cette éclipse avant qu’elle fût arrivée… La lettre qu’il avait écrite… avait été imprimée chez le sieur Vitré, et il avait entrepris de prouver, par des raisons générales, que toutes les prédictions étaient sans fondement et les appréhensions
- ↑ Système de Logique, V, iii ; tr. Peisse, II, 1896, p. 318.