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la réflexion critique, revendiqué par Rousseau pour l’instinct divin de la conscience, se trouve transposé, par de Bonald, en faveur du « consentement universel ». Or, c’est ce consentement universel que Durkheim invoque à son tour pour appuyer une conception métaphysique de la force, telle qu’on la trouve encore dans le système de Spencer. Ce qui revient, en définitive, à laisser de côté, comme à peu près négligeable, toute la civilisation moderne, caractérisée par l’avènement de la science, alors que cet avènement est lié à l’élimination du dynamisme scolastique, alors que la victoire du rationalisme cartésien a été consacrée, et au xviiie siècle, par l’empirisme anglo-saxon, et au xixe siècle, par la philosophie propre d’Auguste Comte.

Pas plus donc que la doctrine de Biran ou de Mill, le sociologisme ne pourra nous fournir, dès le début de notre enquête, une formule, qui en serait en même temps la conclusion, qui définirait la causalité d’une manière univoque et sub specie quadam æternitatis. Ici, comme là, c’est à la considération de l’histoire que nous demandons de dénoncer ce qui fait la fragilité de l’entreprise dogmatique ; et, de fait, nous retrouvons ici ce mouvement de retour qui nous ramènerait en deçà de la période où la physique a pris figure de science, et que nous avons vu se manifester déjà chez Biran par l’acceptation du dogmatisme péripatéticien, chez Mill par l’adhésion à l’empirisme baconien. À quoi le dogmatisme sociologique ajoute des conceptions métaphysiques, inspirées à de Bonald comme plus tard à Auguste Comte, par l’admiration du moyen âge. Mais, le moyen âge, en tant qu’il est précisément intermédiaire entre deux périodes de civilisation proprement spirituelle, offre le spectacle et possède le caractère d’une humanité vue à l’envers. Pour cette humanité, il y a des secrets de vérité qui sont enfermés dans des livres ; et ces livres, elle les a reçus, indépendamment de la pensée


    des sacrifices, c’est-à-dire de la rédemption par le sang ? » (Chap. III), en Appendice aux Soirées de Saint-Pétersbourg. 4e édition, Lyon, t. II, 1842, p. 388. À propos de quoi Faguet écrivait jadis dans la Revue des Deux-Mondes (15 décembre 1888) : « On peut affirmer que de Maistre n’a ni l’amour, ni le culte, n’a pas même l’idée de Jésus. Je cherche ce qu’il en pense, et ne trouve rien. Jésus pour lui est une « victime sanglante », et rien de plus. Et, dès lors, je m’inquiète tout à fait, et je me dis : Est-ce que M. de Maistre ne serait pas au fond un païen ? Il en a l’air au moins. Son idée de la continuité le hante à ce point qu’il lui échappe des mots un peu forts, comme celui-ci : que « les superstitions sont les gardes avancées des religions » : comme celui-ci : que « les évêques français sont les successeurs des druides » ; comme celui-ci : que « toute civilisation commence par les prêtres, … par les miracles, vrais ou faux n’importe. » (P. 815, réimprimé dans Politiques et Moralistes du dix-neuvième siècle, première série, 7e édit. 1901, p. 59.)