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du premier dépasse celui du second. On trouve la même idée chez les Shoshone sous le nom de pokunt, chez les Algonkins sous le nom de manitou, de nauala chez les Kwakiutl, de yek chez les Tlinkit et de sgâna chez les Haida ». Les causes de la naissance et de la mort sont les terrains privilégiés où les ethnographes ont relevé cette contradiction singulière entre les données les plus ostensives de l’expérience et les interprétations idéologiques des non civilisés. Suivant quelques-uns des exégètes des sociétés australiennes, Spencer et Gillen, Strahlow, on pourrait dire de l’Arunta « qu’il ignore le rapport précis qui unit le fait de la génération à l’acte sexuel ; il croit que toute conception est due à une sorte de fécondation mystique[1] ».

M. Lévy-Bruhl a recueilli des témoignages du même ordre pour ce qui concerne la mort : « Souvent dans les sociétés inférieures, les morts les plus « naturelles » à nos yeux, étant rapportées à des causes mystiques, sont considérées comme violentes, au mépris de ce qui semble l’évidence la plus formelle. Ainsi, dans le détroit de Torrès (d’après Seligman, The medicine, surgery, and midwifery of the Sinaugolo (Torres Straits), « Journal of the Anthropological Institute of Great Britain », 1902, p. 299), « la mort par suite d’une morsure de serpent est généralement considérée comme due à ce que le serpent a été influencé par un sorcier[2] ». D’une façon générale, chez les Abipones, dit Dobrizhoffer (An account of the Abipones, t. II, p. 84), « qu’un Indien meure percé de coups, ou les os brisés, ou épuisé par une extrême vieillesse, les autres n’admettront jamais que les blessures ou la faiblesse de l’âge aient causé sa mort. Ils recherchent avidement par quel sorcier et pour quelle raison il a été tué ». (F. M., p. 327.) Voici ce qu’on a observé chez les tribus australiennes de la région de Melbourne (J. Parker apud Brough Smyth, The Aborigines of Victoria, II, 155) : un indigène est mort, de mort naturelle à ce qu’on croit, les amis du mort creusent une

  1. Durkheim, ibid, p. 258. M. Lévy-Bruhl cite dans la Mentalité primitive (que nous désignerons par M. P.), 1922, p. 450). un trait rapporté par B. Spencer (The native tribes of the Northern territory of Australia, p. 25) : « L’existence de métis, dans plusieurs tribus de l’Australie du Nord, a été d’abord universellement expliquée par leurs mères, de la façon suivante : « Moi trop rnangé farine de l’homme blanc. » La différence essentielle, à leurs yeux, entre leur vie avant qu’elles fussent entrées en contact avec les blancs, et après, n’était pas les relations sexuelles qu’elles avaient avec eux, mais dans le fait qu’elles avaient mangé de la farine blanche, ce qui naturellement avait affecté la couleur de leur progéniture. »
  2. Les Fonctions mentales dans les Sociétés inférieures, 1910, p. 325 (que nous désignerons par F. M.