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CHAPITRE IX


LES DIVERS ASPECTS
DE LA MENTALITÉ PRIMITIVE

(d’après les travaux de Durkheim et de M. Lévy-Bruhl.)


44. — Une première occasion d’appliquer notre programme nous est fournie par la considération des formes sous lesquelles la causalité apparaît chez les non civilisés. David Hume, qui fut historien de profession, ne considérait l’histoire que comme un moyen de se confirmer dans cette conviction, « que l’humanité est la même en tout temps, en tout lieu, si bien que l’histoire ne nous informe de rien de nouveau ni d’étrange… Il est universellement reconnu qu’il y a une grande uniformité entre les actions des hommes, dans toutes les nations et dans tous les âges, et que la nature humaine reste toujours la même dans ses principes et ses opérations[1] ».

Or, précisément, cette conception de l’histoire, en soi régulière et uniforme, parallèle à la conception de la nature en soi régulière et uniforme, — de cette nature tirée à quatre méthodes, — sur laquelle Mill a fait fond, nous apparaît aujourd’hui comme le témoignage le plus frappant de la systématisation a priori qui caractérise en réalité la méthode fondamentale de l’empirisme. En tout cas, rien ne serait plus propre à dissiper un tel préjugé que la considération des résultats atteints par les recherches ethnographiques dont l’École sociologique française a tiré un parti si fécond, particulièrement dans les travaux de Durkheim et de M. Lévy-Bruhl.

« Ce n’est pas seulement, écrivait récemment M. Borel[2], la

  1. Essai sur l’Entendement Humain, VIII (i) trad. David, t. I, p. 92, et Hume ajoute en parlant de l’histoire : « Son principal usage est seulement de découvrir les principes constants et universels de la nature humaine en montrant les hommes dans toutes les variétés de circonstances et dans toutes les situations, et en nous fournissant de matériaux dont nous puissions former, nos observations et prendre connaissance des ressorts réguliers de l’action et de la conduite humaines. »
  2. Le Hasard, 1914, p. 5.