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démonstration, nous nous apercevons que Malebranche seul a eu le souci de conserver un contact avec les faits, d’en recevoir un enseignement original et direct. Au contraire, l’argumentation des empiristes est inexplicable sans une référence à une tradition d’École qui précède l’avènement du savoir positif, qui s’interpose entre les choses et leur esprit, et à laquelle ils empruntent, sitôt après avoir récusé toute métaphysique a priori, une notion effectivement a priori, une notion en réalité métaphysique, de l’expérience.

Suivant cette notion, l’expérience se composerait de faits primitifs, représentables à l’imagination ou accessibles seulement au sens intime, mais, dans un cas comme dans l’autre, doués d’un privilège de réalité, parce qu’en eux s’accomplirait la rencontre, la communauté, du sentant et du senti. De tels faits constitueraient comme des îlots naturels d’objectivité, autour desquels viendraient affleurer ensuite les relations qui sont constitutives de la science. L’expérience se définirait comme un contenu donné d’abord, en opposition à la forme du savoir qui s’y ajouterait et s’y superposerait. Or, en partant d’une telle conception de l’expérience, avec la volonté de ne se fier qu’à l’expérience seule, nous avons constaté que l’on ne rejoignait pas la causalité. Nous sommes, par cet échec, invités naturellement à mettre en question la conception de l’expérience dont il procède et à nous garder de l’introduire subrepticement dans les interprétations de la causalité qui ne relèvent pas de la tradition empiriste. En ce sens, nous réclamons le droit d’être plus empiriste que l’empirisme ne l’a été, c’est-à-dire, sans aucune idée préconçue sur la causalité ou sur l’expérience, d’ouvrir nos yeux et notre esprit en toute liberté à ce que l’observation nous fournit dans les divers stades de la société ou dans les diverses époques de civilisation.