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par la présentation d’un contenu intuitif, et que l’on pourrait désigner par une lettre A. Rien ne ressemble moins que la précession des équinoxes à un fait immédiatement donné dans la nature elle-même. On ne saurait, en toute évidence, y voir autre chose que le résultat d’une comparaison qui a pour siège l’esprit de l’observateur, comparaison entre ce qu’il s’attendait à trouver en vertu d’une hypothèse sur le retour régulier de certaines apparences stellaires et ce qu’il a constaté en réalité. « C’est ainsi, dit Ptolémée, qu’ayant mesuré la distance de l’Épi de la Vierge à la lune éclipsée, Hipparque trouva que cette étoile suivait l’équinoxe d’automne à la distance de 8° en longitude. Or, une observation analogue faite par Timocharis cent cinquante ans auparavant, donnait 6° pour la même distance ; et Hipparque conclut que, dans l’intervalle, le point équinoxial s’est déplacé de 2° en se rapprochant de l’étoile[1]. » Le phénomène prétendu simple et intuitif sera donc en réalité un chiffre, ou plus exactement la différence de deux chiffres. Le résidu n’existe pas en soi ; il n’est défini tel que par rapport à une théorie dont il met en défaut l’exactitude ; et le terme même d’explication incomplète qu’employait John Herschel, aurait dû éclairer Mill à cet égard.

Ce n’est pas tout. Suivant la logique de l’empirisme, pour mettre la main sur la cause de ce prétendu phénomène, il suffirait de passer au crible les antécédents préalablement étiquetés et numérotés. Or, comment cette conception abstraite n’apparaîtrait-elle pas pauvre, presque puérile, si on la confronte avec la science véritable où intervient pour l’explication de la précession des équinoxes tout le système de la cosmologie moderne ? « Le pôle céleste, en substance, n’est autre chose que le point où viendrait se terminer l’axe de rotation du globe terrestre prolongé jusqu’au ciel ; l’équateur céleste est l’intersection avec la sphère céleste d’un plan perpendiculaire à cet axe et passant par le centre de la terre. Notre globe a, dans l’espace, un mouvement de translation et de rotation ; mais, comme dans la toupie, pendant que le corps tourne, son axe décrit un cône. Ce cône est décrit par l’axe de la terre de façon que, reporté dans le ciel, il décrive le cercle polaire dans le temps très long de vingt-six mille ans. Aussi rencontre-t-il successivement différentes étoiles… À ce mouvement de l’axe correspond un mouvement de l’intersection de l’écliptique et de l’équateur, ou du point équinoxial, qui parcourt successivement les différentes cons-

  1. G. Bigourdan, l’Astronomie, 1911, p. 265.