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40. — Nous saisissons ici, comme à son origine, la méprise de John Stuart Mill sur le processus scientifique dont sa méthodologie voudrait être l’analyse, Nous allons la retrouver dans les pages qu’il emprunte à John Herschel, afin de justifier ce qu’il appelle la méthode des résidus : « Plusieurs des éléments chimiques nouvellement connus ont été découverts par l’investigation des résidus. Ainsi, Arfwedson découvrit la lithine en trouvant un excédent de poids dans le sulfate formé d’une minime quantité de substance qu’il considérait comme de la magnésie dans un minerai qu’il analysait. Presque toutes les grandes découvertes en astronomie, dit le même auteur (Outliness of Astronomy, § 856), ont été le fruit de l’examen des phénomènes résidus quantitatifs ou numériques… C’est ainsi que l’insigne découverte de la précession des équinoxes résulte, à titre de résidu, de l’explication incomplète du retour des saisons par le retour du soleil, aux mêmes lieux apparents relativement aux étoiles fixes[1]. »

Lorsqu’il reproduit ces passages, Mill ne doute pas qu’il ait prouvé le triomphe de la causalité empirique dans le domaine de l’astronomie et de la chimie. Mais la confusion des idées est si grande qu’elle tourne en un simple jeu de mots. Selon la doctrine empirique de la causalité, le résidu est un phénomène a, donné dans la nature, dont on n’est point encore arrivé à faire précéder l’apparition par l’apparition constante d’un autre phénomène ; si dans le groupe des antécédents donnés se trouve également un phénomène A, auquel on n’aperçoit point de conséquent régulier, alors ce phénomène A peut être considéré comme l’antécédent inconditionnel du phénomène a. Du rapprochement de deux faits, qui en eux-mêmes ne présentent d’autre rapport que la simultanéité ou la succession immédiate, résulte l’établissement d’un lien qui, jusque-là, n’était pas soupçonné : la méthode des résidus conduit ainsi, suivant une voie tout empirique, des faits à la loi. Qu’est-ce que cette notion de résidu a de commun avec le résidu chimique ou astronomique ? C’est ce qu’il est difficile de comprendre d’après les textes de John Herschel cités par Mill.

41. — Considérons par exemple la précession des équinoxes. Nulle part on n’aperçoit qu’il puisse être question, soit d’un conséquent que l’on puisse désigner par une lettre a comme correspondant à un phénomène présenté à l’état pur dans une intuition qualitative, soit d’un antécédent qui soit déterminé

  1. III, ix ; P. I, 476.