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pénibles recherches, et l’on peut dire qu’elle est tout à fait inconnue ; celle du deuxième forme aujourd’hui une branche de physique très importante. Dans un cas semblable, quand nous sommes parvenus à un dernier fait, nous regardons un phénomène comme pleinement expliqué. Ainsi, une branche nous paraît à son terme au point où elle se marie au tronc, et un bourgeon à celui où il se confond avec la branche ; ainsi, un ruisseau conserve son nom et son importance jusqu’à ce qu’il se perde dans quelque affluent plus considérable, ou qu’il se jette dans la rivière qui le verse dans l’Océan. » (Ibid., § 168, p. 161.)

La pensée de Sir John Herschel est, ici, tout autre que celle de Mill. Suivant Mill, la recherche de la causalité atteint son but quand elle a fait apparaître ce que Herschel appelle la « circonstance concomitante invariable » de la rosée : « Toutes les fois qu’un objet se couvre de rosée, il est plus froid que l’air. » Suivant Herschel, la découverte de la causalité suppose, en outre, que le mode d’action est compris, et en particulier qu’une voie de passage est tracée entre le phénomène cause et le phénomène effet. En l’espèce, la connaissance du fait qu’il y a entre l’atmosphère une quantité de vapeur d’eau susceptible, dans un milieu refroidi, de se convertir en gouttelettes liquides est une condition nécessaire au succès de l’explication causale ; car elle permet d’établir entre l’ensemble des phénomènes avant, et l’ensemble des phénomènes après, le dépôt de la rosée, cette continuité que Herschel compare à l’unité d’une branche ou d’un ruisseau.

Mill a donc transposé dans le sens de l’empirisme l’analyse qu’il empruntait à Herschel. N’en a-t-il pas par là même méconnu la signification ? De deux choses l’une, en effet : ou c’est Mill qui a raison, ou c’est Herschel. Si Mill a raison, la causation ne suppose rien de plus que l’invariabilité de la circonstance concomitante ; mais aussi de ce point de vue l’exemple de la rosée cesse d’être topique. Ainsi, et comme le propose Renouvier, « imaginons que la terre ait plusieurs satellites, comme d’autres planètes en ont, et tellement disposées qu’il ne puisse y avoir de nuit sereine sans clair de lune. L’action de la lune sur les gelées de printemps, et sur les rosées en tout temps, se prouverait alors par la méthode de différence, quoiqu’il ne dût pas dépendre d’une pareille méthode de mettre cette hypothèse en défaut. On aurait constamment les A, B, C, a, b, c, et les B, C, b, c. A clair de lune, a gelée blanche (ou rosée), B, C, b, c, les autres circonstances supposées possibles, comme la saison, le vent, etc. Ôtez le clair de lune, il ne gèle plus dans de telles circonstances ;