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rassureront notre jugement en jetant un jour curieux sur la façon tout à fait artificielle dont a été fabriquée la théorie empiriste de la causalité scientifique.

Mill a été frappé, dans le Discourse on the Study of Natural Philosophy (1830) de Sir John Herschel fils, par la façon heureuse dont John Herschel avait choisi les exemples susceptibles de manifester l’application des diverses méthodes de l’induction. Il emprunte à John Herschel l’analyse des procédés par lesquels peut être vérifiée la théorie de Wells sur la rosée : méthode de concordance, méthode de différence, méthode des variations concomitantes, sont utilisées tour à tour pour montrer que tous les cas où le phénomène de la rosée est présent, absent, variable par degrés, un autre phénomène est présent, absent, variant proportionnellement : à savoir « la basse température de l’objet mouillé comparée avec celle de l’air en contact avec lui[1]. » Or, « le refroidissement étant explicable sans la rosée, et une connexion entre les deux faits étant d’ailleurs prouvée, c’est par conséquent le froid qui détermine la rosée ou, en d’autres termes, qui est la cause de la rosée. » (Ibid., p. 464.)

La « loi de causation » est « pleinement établie » ; du moins Mill croit avoir le droit de revendiquer à l’appui d’une pareille conclusion l’autorité de John Herschel, et de faire tourner cette conclusion en une confirmation de la conception empiriste de la causalité. Mais quand on se reporte au texte même de Herschel, on s’aperçoit que Mill laisse de côté les passages où Herschel met en lumière ce qui donne sa valeur proprement scientifique à la théorie de la rosée. « La découverte d’une cause possible, par la comparaison de cas divers, doit conduire à l’une de ces choses : 1o la découverte d’une cause réelle, de son mode d’action qui rende complètement raison des faits ; 2o l’établissement d’une loi abstraite qui montre deux phénomènes d’espèce générale comme invariablement liés entre eux, et garantisse que, si l’on en connaît un, on ne peut manquer de trouver l’autre[2]. » Et, précisément, si Herschel s’étend sur la théorie de Wells, c’est qu’elle lui permet d’entrevoir le mode d’action par lequel la rosée se produit. Aussi conclut-il, éclaircissant sa pensée encore un peu ambiguë dans le passage précédent : « Dans l’analyse que nous venons de faire, la rosée est rapportée à deux phénomènes généraux : la radiation de la chaleur et la condensation de la vapeur. La cause du premier phénomène exige de hautes et

  1. III, ix ; P. I, 459.
  2. Discours, § 162. Trad. Fr., (par B.) 1831, p. 156.