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des problèmes platoniciens

le personnage qu’Aristophane n’a pas honte de désigner du nom de Socrate : un être qui tantôt se perd dans la contemplation ridicule des météores, et, tantôt, se flatte d’assurer, par d’indignes artifices, le triomphe de la cause injuste sur la cause juste. Usant ainsi et abusant de son génie comique, Aristophane est convaincu qu’il remplit son devoir de conservateur. La foule applaudit. Et, plus tard, lorsque se déclareront contre Socrate les accusations mortelles de corrompre la jeunesse, d’introduire dans la cité des Dieux nouveaux, le peuple suivra les ennemis de Socrate qui sont aussi les siens. Tel est le drame sur lequel Platon ne cessera de réfléchir jusqu’à son dernier souffle. Comme le christianisme, le platonisme est né de la méditation d’un échec sanglant, lié à la révolte d’une conscience qui en appelle devant Dieu d’un verdict de condamnation rendu par le tribunal des hommes.

En présence d’un tel spectacle, le premier mouvement de l’esprit est de rentrer en soi pour préciser encore, pour approfondir par un redoublement d’intériorité, la norme incorruptible du vrai, qui est aussi la source de la justice éternelle.

Le platonisme est un idéalisme ascétique où les lignes du progrès de l’intelligence dessinent, en quelque sorte, les lignes du progrès de la vérité. Comme pour Pythagore (et c’est l’attache des deux doctrines), cette vérité se concentre dans la démonstration mathématique, par laquelle l’esprit humain s’est révélé capable d’un savoir positif qui se développe à l’intérieur de la pensée individuelle et qui, cependant, est capable de recueillir et même d’imposer l’assentiment universel.

Il n’y aura donc qu’à suivre le développement des types de connaissance, depuis les ombres jusqu’aux réalités. Le reflet des arbres dans l’eau fournit l’image des arbres qui, eux-mêmes, à leur tour, illustrent d’une façon approchée, encore grossière, les propriétés des figures que le géomètre dessine exactement et auxquelles il applique les règles du calcul. De là un renversement caractéristique des perspectives selon lesquelles les hommes s’apparaissent à eux-mêmes