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L’actualité

de deux siècles. Cependant, les conditions de l’enquête qui concerne Pythagore et de l’enquête qui concerne Platon sont tout à fait différentes. Avec Platon, nous sommes sortis de la pénombre à la faveur de laquelle les légendes s’entassent, nous interdisant tout accès à la vérité vraie. Le siècle de Périclès s’achève, qui marque le moment lumineux par excellence de l’histoire. La succession des événements à travers lesquels se développe la carrière de Platon est connue par le détail ; son œuvre littéraire — par une exception unique en ce qui touche la philosophie proprement hellénique — nous est parvenue dans son texte original ; la critique d’authenticité ne porte guère que sur un petit nombre de Dialogues et sur la Correspondance.

Cependant je ne dois pas promettre plus que, raisonnablement, je ne puis tenir. Le caractère même de la littérature platonicienne suscite des difficultés graves et qui sont objectivement insolubles. En effet, ce sont des Dialogues où Platon est d’autant plus à l’aise pour nous dissimuler sa pensée personnelle que, souvent, il s’interdit toute conclusion positive ; le sourire de son ironie dénonce la témérité, l’arrogance naïve, de quelque dogmatisme que ce soit. Nous soupçonnons bien qu’il convient d’attribuer à Platon un enseignement direct. Seulement, cet enseignement, il paraît l’avoir réservé aux initiés du jardin d’Académos. Il y a eu des « doctrines non écrites », auxquelles font allusion Aristote et les Aristotéliciens, qui eux-mêmes sont sujets à caution. D’ailleurs, dans la Lettre VII (qu’autrefois on considérait comme apocryphe et dont les érudits contemporains nous ont restitué l’usage) Platon déclare qu’il s’est toujours refusé à divulguer par écrit sa doctrine : aucune formule, à ses yeux, ne saurait en donner l’expression exacte ; la vérité ne doit jaillir que du dedans, après une longue méditation de son objet.

Première cause d’incertitude, à laquelle s’en joint une autre, en rapport, non plus avec l’auteur, mais avec les personnages des Dialogues. Ces interlocuteurs ont existé, tels Parménide ou Aristophane ; Platon leur prête des discours fictifs, et dans des intentions que nous devrons recon-