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l’actualité

En dernière analyse, à l’intérieur du platonisme : il y a coexistence et il y a conflit entre deux types de religion : la religion au sens pur et absolu du mot, la religion du philosophe qui s’est uniquement attaché à la poursuite du vrai dans son ascension continue vers la lumière de l’intelligence ; d’autre part, la religion constituée du dehors, soit qu’elle mette au service des pouvoirs temporels l’imagination d’une mythologie ou l’ordonnance d’un culte, soit qu’elle s’organise elle-même comme l’administration d’une société.

Pourtant, et c’est ce qu’il y a de plus grave, pas plus chez Platon que chez Rousseau, nous ne devons suspecter l’intention. C’est bien d’une civilisation orientée vers les valeurs de l’esprit, comme celle dont Athènes avait été le siège, que Platon s’affirme le défenseur. Parmi ces fils dont parlent les Lois, qui tirent en sens divers les marionnettes humaines, Platon désire assurer l’hégémonie au fil d’or de la raison, devenue raison commune de l’État. Seulement, la raison, par l’excellence de sa nature, qui est douce, qui répugne à toute violence, la raison a besoin d’aide. Aussi Platon ne pourra s’empêcher de contempler avec un regard d’envie la concentration de force, la vertu de discipline, qui ont assuré la victoire de Lacédémone sur la démocratie athénienne, Lacédémone dont Aristote dira qu’elle est tout entière tendue dans la préparation à la guerre.

Emprunter cet instrument de discipline et de cohésion que le militarisme spartiate a forgé, pour le tourner au bénéfice d’une cause qui soit réellement noble, l’entreprise, assurément, n’était pas chimérique. Peut-être, cependant, était-elle imprudente. À quel moment, en quelle mesure la concession dans l’ordre des moyens se répercute-t-elle sur les fins, risque-t-elle d’en ébranler la justification interne ? Une fois la borne franchie qui sépare la philosophie de l’éloquence, la vérité du mensonge, comment protéger l’idée contre la trahison de la parole, et même la parole contre la violence de l’idée ?

Si ce problème est le problème des problèmes, celui que Platon, ascète de l’intelligence et de la justice, pose à Platon, opportuniste de la philanthropie et de la politique, vous ne