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des problèmes platoniciens

s’abandonnant au courant d’une logique sauvage, qui sera plus tard celle de Jean-Jacques Rousseau, il appelle les rigueurs de la répression, non seulement sur les citoyens qui oseraient nier l’existence de Dieu, mais encore sur ceux qui pousseraient le désintéressement de la pensée jusqu’à douter que la divinité intervienne dans les affaires courantes des hommes, aussi bien que sur ceux dont la dévotion solliciterait indiscrètement la providence de ces Dieux par des prières et des sacrifices, comme si l’on pouvait infléchir leur jugement incorruptible. En cas de récidive et d’obstination, Platon envisage la peine de mort.

Ce n’est pas tout. Platon professe que dès cette vie — et non plus seulement dans l’autre — l’injustice entraîne le malheur, que la félicité accompagne nécessairement la pratique de la justice. Or, s’il se croit en état de démontrer cette proposition fondamentale, il reconnaît cependant qu’elle pourrait demeurer douteuse pour certains esprits ; et il déclare que dans ce cas elle n’en devrait pas être moins imposée par l’État et consacrée à titre de dogme dans la cité. Lui, le disciple de Socrate, lui qui a écrit le Théétète, laisse alors s’échapper des lèvres de l’étranger athénien, qui est le principal interlocuteur des Lois, la phrase fatale : « Quand cela ne serait aussi certain que la raison le prouve, si un législateur quelque peu habile s’est cru parfois (allusion à la République) permis de tromper les jeunes gens pour leur avantage, fut-il jamais un mensonge plus utile que celui-ci, plus propre à les porter d’eux-mêmes et sans contrainte à exercer la vertu ? »

Par ces mots terribles Platon engage le sort de son propre idéalisme. S’il arrive que la vérité, comme le dira Pascal, apparaisse une idole, s’il est permis de la sacrifier à l’intérêt public, alors ces sophistes et ces prêtres qui ont provoqué à l’égard de Socrate la sentence inique du tribunal populaire, ont maintenant leur revanche. La conception, toute matérialiste et cynique, évidemment contradictoire, d’une autorité prétendue spirituelle et qui opprime la pensée, va se trouver réintégrée dans le système normal des institutions.