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l’actualité

tera pas, c’est l’orateur qui sera préféré si cela lui plaît. » Au contraire, le juste platonicien, à qui rien n’importe que la recherche du vrai pour le vrai, trébuchera dès ses premiers pas dans la société des hommes. « Il ne sait pas (et je ne modernise pas, je cite textuellement), il ne sait pas comment se roule une couverture de voyage, comment s’accommode un plat dont il faut relever le goût, ni non plus comment les discours au peuple s’assaisonnent de flatteries. » Arraché à sa méditation céleste, il ne trouve plus rien à dire, et il bredouille ; il devient, comme le poète de Baudelaire, « le jouet de la risée publique ».

Aussi est-il vain d’espérer que le peuple vienne, de lui-même, solliciter et recevoir la loi de son salut. De l’aveu de son auteur, l’avènement de la République platonicienne restera un rêve platonique « aussi longtemps que les philosophes ne régneront pas dans l’État, ou que ceux qui passent aujourd’hui pour y être rois ou dynastes ne feront pas de la philosophie une étude sincère et approfondie ». Et Platon, en indiquant l’une et l’autre perspective, sait qu’il défie le sens commun, que le règne du philosophe paraît au vulgaire aussi difficile à concevoir que le service militaire des femmes, ou le partage indifférencié des épouses et des enfants ; il n’y faudrait rien de moins qu’un miracle.

Alors, une dernière question se pose : Le sage et le juste doit-il attendre passivement le jour où la faveur divine descendra sur sa patrie ? Le devoir n’est-il pas d’aller au devant du miracle, en se rapprochant des conditions humaines du succès ? À près de quatre-vingts ans, Platon, dans le Dialogue des Lois, reprendra l’entreprise de la République. En un sens il s’adoucit. Les pouvoirs, dont l’équilibre permet aux commentateurs d’évoquer la pensée d’un Montesquieu, laissent davantage de latitude à l’activité de l’individu. Mais d’autant ces pouvoirs sont moins étendus et moins oppressifs, d’autant ils demandent à être mieux garantis. Une fois fixé le fond commun de principes sur lequel reposera le système de l’éducation publique qui devra maintenir la stabilité de l’État, Platon exige qu’il soit mis à l’abri de toute attaque et de toute altération. Et,