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des problèmes platoniciens

trer que la justice qui fait la vérité de l’État a une contexture analogue. La justice requiert la tempérance des travailleurs et la vigilance des guerriers, qui sauront à leur tour reconnaître l’autorité des magistrats exercés par la dialectique à la contemplation, et rendus ainsi capables d’introduire dans le cours mouvant des affaires humaines un reflet de l’éternelle pureté des Idées.

Avec une précision proprement prophétique, Platon, examinant les conditions auxquelles doit satisfaire une société qui prend conscience de sa destinée spirituelle, formule dans la République et justifie rigoureusement les thèses contemporaines de l’eugénisme, du féminisme, du socialisme. Mais la rigueur même avec laquelle se développe cette triple perspective pose le problème dont nous pouvons dire qu’il est par excellence le problème de Platon avant d’être celui de tous les temps. « L’humanité (pour parler le langage de La Rochefoucauld) aura-t-elle assez de force pour suivre toute sa raison ? »

Quand il s’agit du sage en qui intelligence et vertu ne font qu’un, on n’aura pas de peine à répondre : il lui appartient de se réaliser à l’intérieur de soi dans son exacte harmonie. Mais comment passer de l’individu à la cité dans un monde où « l’action n’est pas la sœur du rêve » ? À quoi bon le plan de législation le mieux établi, si cette législation ne rencontre pas un peuple qui accepte de s’y soumettre ? Vaine demeurera l’ordonnance du médecin le plus savant tant que le malade s’abstient de s’y conformer.

Là interviendrait l’habileté du sophiste qui sépare la forme du fond. Platon fait dire à Gorgias : « Maintes fois il m’est arrivé d’accompagner mon frère ou d’autres médecins chez quelque malade qui refusait une drogue, qui ne voulait pas se laisser opérer par le fer ou par le feu. Tandis que l’exhortation du médecin restait vaine, moi, Gorgias, je réussissais à persuader le malade par le seul art de la rhétorique. Un orateur et un médecin pourraient aller ensemble dans la ville que l’on voudra ; si une discussion s’engage dans une réunion quelconque pour décider lequel des deux sera choisi comme médecin, j’affirme que le médecin n’exis-