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des problèmes platoniciens

aborde ce problème fondamental de la politique, c’est en philosophe, aux yeux de qui les règles de la pratique demeurent inséparables des vues spéculatives.

Là est le tournant de la doctrine. Là se manifeste la vocation impérieuse du génie hellénique qui ne peut pas se détacher tout à fait de la nature, qui cherche dans son spectacle à la fois un modèle à suivre, un motif d’espérer et d’agir. Le sage qui cède à l’appel de l’humanité pour tâcher d’établir dans la caverne la loi de l’ordre est une sorte d’ouvrier divin, un démiurge. Platon veut qu’il imite, dans la direction des affaires humaines, la conduite que le Démiurge par excellence, le fils de Dieu, a observée lorsque, rencontrant la matière informe, il s’est ingénié à en tirer l’ordonnance d’un tout harmonieux qui mérite d’être appelé un monde.

Sans doute, et il importe d’y insister, le Démiurge platonicien ne se confond pas avec Dieu qui, lui, se refuse à toute analogie anthropomorphique, à toute imagination anthropocentrique, saintement concentré dans la pureté de son essence, à laquelle, seule, pourra donner accès le désintéressement d’une pensée impersonnelle. Fidèle à l’élan dont la spiritualité d’Occident est redevable à Xénophane de Colophon, Platon rejette comme sacrilèges les fables tour à tour terrifiantes ou charmantes sur les amours des dieux, sur l’arbitraire de leur volonté, sur leurs aventures terrestres. À aucun poète, fût-il Hésiode ou fût-il Homère, il ne permet de dire que les dieux vont de ville en ville, déguisés sous des formes étrangères, de débiter des histoires au sujet de métamorphoses comme celles de Protée ou de Thétis.

Cependant, puisque nous vivons, puisque nous apercevons un monde visible, il est manifeste que l’éternité des idées a dû se réfracter dans le temps des choses ; l’organisation du devenir universel se prêtera donc à des représentations symboliques dont l’« obscure clarté » semble appropriée à la nature perpétuellement fuyante de leur objet. C’est ainsi qu’au mythe sur le jugement posthume des âmes correspond, à l’origine, le récit fabuleux de leur chute. Platon,