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l’actualité

Platon se met en garde contre le double péril et de la haine de la raison et de la haine de l’humanité. Le sage a-t-il rempli sa destinée lorsqu’il s’enferme dans une tour d’ivoire pour contempler de là, sans trouble et sans remords, la caverne où le désordre des images engendre le chaos des appétits et des passions ? C’est-à-dire que Platon rencontre exactement le problème qui doit à M. Julien Benda la formule définitive de son énoncé : le problème de la trahison des clercs.

Platon l’a résolu dans le sens de l’action. À trois reprises, il a quitté la Grèce pour la Sicile, appelé à Syracuse par Denys l’Ancien, puis par Denys le Jeune, un peu comme Voltaire l’a été à la cour de Prusse, et toujours avec le même dénouement malheureux. Du moins devait-il faire profiter d’une expérience trois fois amère ses disciples de l’Académie qui, pour la plupart, exerceront une influence prépondérante sur les affaires de leur patrie. Les X livres de la République, les XII livres des Lois, témoignent de la place centrale que Platon réservait aux choses de la politique. Ce sont des projets de constitution, du genre de ceux que Jean-Jacques Rousseau devait rédiger pour les Corses ou pour les Polonais, appliquant à des cas particuliers les théories de la Profession de foi du Vicaire Savoyard ou du Contrat Social.

III

Le problème de la philosophie politique est le problème de l’adaptation. Il apparaît délicat entre tous, car l’adaptation est une notion ambiguë, où se complaisent également idéalistes et réalistes ; pour les uns il s’agit d’assurer effectivement l’emprise heureuse de l’idéal sur la réalité, pour les autres, au contraire, cet idéal ira fléchissant et finalement capitulera devant l’exigence des faits. Et chez Platon le problème est rendu plus pressant par les menaces de dissolution et de défaillance qu’il voit s’accumuler sur Athènes et sur la Grèce, en même temps que plus aigu par la rigueur même de son ascétisme intellectuel et moral. Quand Platon