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l’actualité

nomie. Et Platon va conclure que le Bien, c’est l’Un. Paradoxe (ajoute Aristoxène de Tarente) qui déconcerte l’auditoire : une partie même prit la fuite.

Ce récit pose au sommet de la vie religieuse le problème dont les conséquences vont retentir à travers les siècles, jusqu’à l’Éthique de Spinoza et jusqu’aux Deux Sources de M. Bergson. Le rationalisme ultra-mystique, où l’initiation à l’amour s’achève dans l’initiation à la science, rend un service incomparable : il nous oblige à prendre parti entre l’immortalité de l’âme que l’on imagine se prolongeant dans le temps, et la conscience de l’éternité de l’idée qui se suffit à elle-même dès cette existence. Imagination d’immortalité, conscience d’éternité, relèvent, en effet, de deux plans différents, et leur antithèse commande toute l’architecture du système platonicien : ici, le plan du devenir et de l’opinion ; là, le plan de l’être et de la science.

Or, quel que soit le terme de l’alternative que l’on adopte, il est remarquable qu’on puisse également regarder Platon comme un guide. D’une part, en effet, le Phédon montre Socrate dans sa prison ; il prend la ciguë, et devant les disciples qu’accable la perspective de l’imminente séparation, il discute paisiblement sur la destinée posthume de l’âme. N’est-ce pas un beau risque à courir ? « Vivre, pour le philosophe, c’est s’exercer à la mort. L’âme, qui est dans une telle disposition, ira donc vers ce qui lui ressemble, vers l’invisible, vers ce qui est divin, et immortel et sage, vers le lieu où son arrivée lui assure la béatitude, où divagation et déraison, où crainte, sauvages amours et autres maux propres à la condition humaine cessent de lui être attachés, où, selon les initiés, l’âme, dans la compagnie des Dieux, va passer le reste de son temps. »

Mais, quand nous avons surmonté notre émotion, nous devons courageusement nous demander si c’est bien le fond de sa pensée que Platon exprime ici. Bien plutôt, ne met-il pas à profit le détour complaisant du dialogue et le souvenir du mythe pour un exposé simplement symbolique à l’usage du profane ? Est-ce que le propre de la dialectique n’est pas précisément d’élever la spiritualité