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des problèmes platoniciens

tion de Jésus-Christ. « Platon pour disposer au christianisme », note Pascal dans le manuscrit des Pensées.

Nous voici devant la question la plus haute et la plus difficile. La tradition du mysticisme, dans les pays occidentaux, est littérairement dérivée des pages du Banquet où Diotime, l’étrangère de Mantinée, initie Socrate aux mystères de l’amour qui, dans les corps et par delà les corps, dans les âmes et par delà les âmes, est en quête de l’idée pure, de l’idée incorruptible, du Beau en soi. Et cependant, il faut avoir le courage de résister à une interprétation qui outrepasse et altère la pensée de Platon lui-même. L’enthousiasme de l’amour ne correspond chez lui qu’à une phase intermédiaire où le destin de l’homme demeure en suspens. S’il est devenu joyeux, sans doute, grâce à la possession anticipée de la richesse à laquelle il aspire, c’est d’une joie qui demeure contrariée par le sentiment de l’indigence présente. L’élan mystique n’aura donc sa portée et sa signification que s’il se dépasse lui-même en s’orientant franchement vers la perfection dialectique de la raison ; car à la raison seule il appartiendra de remonter jusqu’à l’origine des valeurs idéales et d’en mettre à nu la vérité intrinsèque.

Ainsi, et le point est capital, c’est sur la vertu intuitive de l’intelligence que Platon se fonde pour surmonter l’embarras devant lequel le mysticisme, abandonné à ses propres forces, devait échouer en Occident comme il a échoué en Orient, incapable d’échapper à l’alternative épuisante de l’extase et de l’angoisse parce qu’il est hors d’état d’opérer le discernement des ténèbres et de la lumière.

Pour nous assurer à cet égard de la direction suivie par l’enseignement platonicien, il nous suffira de rappeler le récit d’Aristoxène de Tarente, récit qui nous introduit pour un jour dans l’intimité de l’Académie. On avait annoncé une leçon de Platon sur le Bien. Foule d’auditeurs qui espèrent que Platon parlera de ce que les hommes considèrent comme le bien : santé, fortune, force, perfection du bonheur en un mot. Mais tous les discours de Platon portent sur la mathématique, l’arithmétique, la géométrie, l’astro-