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étaient des écoles d’hiver, auxquelles le beau temps faisait plus de tort encore que le mauvais.

Progrès. — Le mal diminua pourtant peu à peu au cours du siècle. Il est exact de dire que les améliorations s’expliquent surtout par le mouvement général des idées au xviiie siècle[1]. Seulement il faut bien se garder de rien affirmer à priori et de considérer qu’à tout progrès de la « philosophie » correspondait un désir de répandre « les lumières ». Telle école, tel penseur a pu être extrêmement philosophe, et n’avoir aucunement mis dans son programme de progrès la généralisation de l’instruction première. Voltaire, le jour où il manquait de main-d’œuvre agricole, était « obscurantiste », et il n’y a pas dans son œuvre de plaidoyer en faveur de l’éducation de la masse. Rousseau n’en a pas parlé non plus, même dans l’Émile, et le Réformateur de l’instruction secondaire, La Chalotais, ne se soucie en aucune façon d’étendre l’influence de l’école, tout au contraire. Il adoptait la vieille thèse, qu’on risquait en instruisant le peuple, de le détourner de son rôle et de sa destinée. « Les Freres de la Doctrine Chrétienne, qu’on appelle Ignorantins, écrit-il, sont survenus pour achever de tout perdre ; ils apprennent à lire et à écrire à des gens qui n’eussent dû apprendre qu’à dessiner et à manier le rabot et la lime, mais qui ne le veulent plus faire. Ce sont les rivaux ou les successeurs des Jésuites. Le bien de la Société demande que les connoissances du Peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations. Tout homme qui voit au de-là de son triste métier, ne s’en acquittera jamais avec courage et patience. Parmi les gens du Peuple, il n’est presque nécessaire de sçavoir lire et écrire qu’à ceux qui vivent par ces arts, ou que ces arts aident à vivre » (Essai d’Educn nationale, p. 24-26).

C’est en récompense de cette déclaration que Voltaire écrivait à l’auteur (28 fév. 1763) : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. Envoyez-moi surtout des frères ignorantins pour conduire mes charrues ». Absence d’esprit démocratique ? Préjugés de bourgeois ? Incompréhension de ce que l’école pouvait faire de l’esprit public, étant donné ce qu’elle en faisait alors ? Il y a de tout cela sans doute dans ces doctrines de malthusianisme intellectuel[2].

  1. À Grenoble, dès 1704, on voit une réunion do magistrats et d’ecclésiastiques fonder une confrérie pour l’instruction des enfants du peuple (Prudh., o. c., 531).
  2. Rousseau a dit dans l’Émile (liv. I) : « Le pauvre n’a pas besoin d’éducation. Celle de son état est forcée, il ne saurait en avoir d’autre ». On comparera les idées exprimées par L. Philipon de la Madelaine dans ses Vues patriotiques sur l’éducation du