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patois du pays, afin de pouvoir mieux instruire son peuple, et que si Dieu lui eût donné le choix ou du don des miracles ou de la langue provençale, il eût choisi plutôt de parler cette langue que de ressusciter trois morts chaque jour. Et l’auteur ajoute — ici il ne s’agit plus de rêve, mais de faits — : « Vous l’avez vû souvent, au milieu des enfants et des païsans, leur enseigner la doctrine en leur idiome vulgaire, vous l’avez admiré dans les visites de ce diocèse, s’efforçant de faire des sermons en provençal avec un abaissement extresme et une charité inconcevable[1]. »

On se demande, en présence de certains textes, si l’on exigeait toujours des maîtres d’école eux-mêmes qu’ils sussent le français. Cela ne me paraît pas du tout assuré. Racine n’était ni un athée ni un libertin. Il ne songeait pas à inspirer le mépris des « régimes déchus. » Or il nous dit textuellement que les maîtres d’école d’Usez qui le saluaient ne le comprenaient pas et qu’il ne les entendait pas non plus : « Il n’y a pas un curé ni un maître d’école, écrit-il, qui ne m’ait fait le compliment gaillard, auquel je ne saurois répondre que par des révérences, car je n’entends pas le françois de ce pays, et on n’entend pas le mien : ainsi je tire le pied fort humblement ; et je dis, quand tout est fait : Adiousias (Let., 1661, Œuv., VI, 419).

L’apprentissage de la lecture en latin — Qu’était-ce donc que savoir lire ? Il faut éviter les méprises à ce sujet. Savoir lire, c’était d’abord savoir lire en latin. On commençait par là. Cette méthode s’est conservée çà et là jusqu’à nos jours[2]. Elle était universellement pratiquée ou à peu près autour de 1650, quoiqu’on l’eût déjà critiquée. Ce n’est pas parce qu’il était plus facile de commencer par le latin où toutes les lettres se prononçaient qu’on en usait ainsi, c’était parce que le caractère de l’école en faisait un devoir. Il fallait lire avant tout les prières et le rituel, dût-on en rester là.

Donc, après la « croix de par Dieu », où ils apprenaient les lettres, les enfants les assemblaient en syllabes, puis s’exerçaient sur le « pater, ave, credo, misereatur, confiteor, Benedicite, Agi-

  1. Abbé Cognet, Ant. Godeau, Paris, 1900, 8o, p. 358. Vence est dans l’arrondissement de Grasse (Alpes-Maritimes).
  2. Mon collaborateur primaire, M. l’Inspecteur Bony, né le 9 mars 1860, a encore appris à lire en latin d’abord, à l’école de Villy-en-Auxois (arrondt de Semur). C’était à son époque une règle générale dans ce pays et bien ailleurs. Une de mes domestiques, née en 1858, élevée par les Sœurs de Voutezac (Corrèze), est dans le même cas. Il n’y a guère que quarante ans que cette pratique est interdite dans les écoles publiques. Elle continue dans certaines écoles catholiques.