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« Ceux qui ne veulent que l’usage disent que c’est ce qui se pratique par la plus saine partie de la Cour et comme on leur représente que cette saine partie de la cour mène bien loin, les autres qui se tiennent uniquement à l’autorité, soutiennent pour eux que cette saine partie se doit entendre de celle qui parle et écrit selon la plus saine partie des auteurs. Que si on leur demande qui sont ces auteurs, ce seront, selon eux, les auteurs des Remarques sur la langue françoise… Et si on leur fait voir qu’ils ne s’accordent pas entre eux, chacun répond hardiment c’est moi qui suis l’ortodoxe, qui ay trouvé le fin, le délicat, qui veux desabuser le public » (I, 144 et s.). Ce qu’il faudrait consulter, ce serait la raison, « à savoir le rapport que l’esprit trouve qu’un terme ou une expression ont avec des principes établis, certains et immuables (Ib., 156).

La Grammaire générale. — Ce qui avait ébranlé les convictions, c’était la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal. L’année même où les petites Écoles étaient fermées, paraissait un livre fait pour elles, dont la portée fut énorme. Encore une fois le mot de Pascal se vérifiait. La force avait le dessous dans son duel contre la pensée.

La « Grammaire générale » est du nombre des chefs-d’œuvre qui sont l’œuvre de plusieurs. Lancelot l’a écrite, mais Arnauld l’a pensée, et on sait ce qu’il pensait[1]. Le titre dit : Grammaire generale et raisonnée. Il ne faut pas comprendre par là que la grammaire d’Arnauld fût polyglotte, ni qu’elle fournît pour la morphologie et la syntaxe l’équivalent du Lexique de Calepin. Port-Royal a fait pour les langues latine, grecque, italienne, espagnole, des méthodes séparées. Celle-ci n’en est ni un amalgame ni un résumé. C’en serait bien plutôt l’introduction. S’il est fait allusion des faits appartenant aux langues savantes ou vulgaires hébreu, grec, latin, italien, espagnol, voire allemand (p. 126-134), c’est que de toutes l’auteur s’efforce de dégager des principes communs, et les définitions des parties essentielles du langage. Raisonnée, l’œuvre d’Arnauld l’est doublement, d’abord en ce qu’elle cherche à expliquer les faits au lieu de les exposer ; et en outre parce qu’elle tâche de retrouver au terme de son analyse, derrière les formes variables des langues, la raison universelle réglant les principes du langage.

  1. On peut cependant constater des taches dans son œuvre. C’est une imagination puérile que de considérer l’invention du pronom de la première personne comme inspirée par le désir de ne pas se nommer soi-même, « ce qui eût eu mauvaise grâce » (59). C’est une inadvertance que d’affirmer qu’on commande fort rarement au singulier. Dans les « petites écoles » de Port-Royal peut-être, les élèves étant de Petits Messieurs, à la Cour aussi, mais ailleurs ?