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vivement contre le désordre orthographique[1]. Il sait quels ont été les obstacles où ont choppé les réformistes ; il persiste cependant : « Les difficultez qu’il y a d’escrire tout ainsi que l’on prononce n’empéchent pas qu’il ne faille tâcher d’en venir là. Mais peut-estre doucemant, et petit à petit : comme on fait lorsqu’on veut monter la corde d’un lut, ou le ressort d’vne monstre (77)[2] ». Au reste la plupart des écrivains contemporains donnent l’exemple. « A ces grans Hommes deuroient se joindre, dit du Tertre, tous ces principaus Maistres de la Librairie… et ceux mesmes qui ont charge du Public. S’il y auoit de veritables Mecenas des Lettres, ils affectionneroient sans doute ce dessein : et donneroient à quelqu’un de sçauant, zelé et exact, l’Intandance de cete correction » (79-80)[3]. « Il n’y a, dit à son tour Irson, p. 118, que les gens du Palais qui s’interessent plus opiniâtrement à retenir les lettres superfluës pour faire leurs expeditions plus longues de quelques lignes[4]. Mais ils ont beau s’opposer à ce retranchement : l’on se plaît aujourd’huy à écrire les mots de la même façon qu’on les prononce[5] ».

On retrouve à peu près les mêmes idées jusque dans le livre plus

  1. « Nous renuoyer precizément à l’vzage et à la coûtume, c’est aprés tout nous donner vne regle de Plomb ; qui se plie selon la fantaizie, je ne dis pas du Vulgaire, mais des plus habiles, et des plus polis Auteurs. Non seulemant il n’y en a pas deux dans cet illustre nombre, qui suiuent vne mesme fasson d’écrire : mais encore il ne s’en treuue pas vn seul, qui s’accorde auec soy-mesme. Cepandant ce seroit vn notable profit tant à la France, qu’aux Nations Etrangeres, que quelqu’vn nous dressast vne regle, en laquelle on peust conuenir.

    Manquer en cela, est en verité l’vne des plus fâcheuses difficultez que sentent les Enfans qui commancent à lire : et l’un des plus grans empéchemãs, qu’ayent les Etrangers à apprandre nostre Langue. Ie sçay que les derniers ont remercié quelques Auteurs, qui ont tâché de randre la maniere d’écrire conforme à celle de prononcer. » (60-61) Car pour moy je ne puis m’accorder auec ceux qui soutiennent qu’on peut indifferammant orthographier tous les mots en deux, ou trois façons. Au moins si cela se peut auec raison, il ne se doit pas pour la perfection de nostre Langue, ny pour l’vtilité publique » (86).

  2. « De vray, tous les Polis qui sont en si grand nombre… se retirent generalemant, qui plus, qui moins, de l’ancienne fasson d’escrire la Langue Françoise. Plusieurs d’entr’eux escrivent cete ville, non plus ceste ville : connoître, non plus cognoistre, besoin, non plus besoing : effets, non plus effects, etc., etc.

    En particuler l’vn de nos Ecriuains modernes, qui se montre plus curieus en cela, comme il est tres-exact en tout le reste : est le judicieus Auteur, de l’Instruction Dauphine. Car il escrit… Dauphin, non pas Daulphin : caractere, non pas charactere : eus, ceus, cieus ; conuoiteus, ambitieus ; non pas eux, ceux, etc…, écoulé et élevé, non pas escoulé, eslevé ; neanmoins, non pas neantmoins, lui, non pas luyRois et l’emploi, non pas les Roys et l’employ : les fruicts parfaits, non pas fruicts parfaicts, et mille samblables diuersitez » (77-78).

  3. Il est à noter que du Tertre tient pour les distinctions graphiques : il dit, il dist (93), pris, prix (94).
  4. Nouvelle methode pour apprendre facilement les principes et la pureté de la langue françoise… Paris, chez l’auteur et chez Gaspar Meturas, 1656, 8°.
  5. Il donne comme exemple « d’Ablancourt, Balzac, Vaugelas, du Rier, Pelisson, Chapelain, de Scudery, Priezac, Calprenelle, Gomberville, Arnaud-d’Andilly, le P. Leon, le P. Lemoine, qui retranchent grand nombre de consones inutiles » (119).