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À Paris, la lutte fut longue et très âpre. Les maîtres-écrivains avaient pour eux le prévôt, tandis que le chantre, pour maintenir le privilège de ses écoles, s’appuyait sur le Parlement. Ce fut un de ces procès de l’ancien régime qui duraient cent ans. Quand il y avait lieu de faire tête à un ennemi commun, comme les frères des Ecoles, la querelle s’assoupissait, on s’alliait même, puis les hostilités recommençaient. En 1659, il y avait dix procès en cours. En 1661, une sentence renvoyait les parties dos à dos, cependant elle défendait entre autres choses aux maîtres et maîtresses d’école de mettre plus de trois lignes dans les exemples qu’ils donnaient à leurs écoliers. Bien entendu ceux-ci en appelèrent et le débat continua[1].

Le chantre ne prétendait point que ses maîtres fussent grands clercs en orthographe, puisqu’ils ne savaient point le latin. Mais quelle est la prétention des maîtres-écrivains, qui, eux, n’ont jamais que la routine, comme les femmes[2] ! Et comment pouvait-on leur permettre « de monstrer l’orthographe », en leur interdisant d’enseigner à lire[3]. « La doctrine de l’Orthographe est le fait d’un fort bon Grammairien : dont il s’ensuit que les Escrivains Jurés ne peuvent pas l’enseigner, puis qu’ils ne sont point du tout Grammairiens », dit le Traitté hist. des Ecoles, 481. Le débat ne fut terminé qu’en 1714, par un arrêt du 23 juillet. Il permettait aux petites écoles d’enseigner la grammaire, la lecture, l’écriture, et de prendre des

    rerait sous et à l’aide dudit Perrot pour enseigner l’art d’escripture (A. de Dion. Les Ecoles de Montfort l’Amaury. Rambouillet, 1880, p. 22).

    « Seront tenus à huit heures du matin aller en la principale escole et y conduire leurs pensionnaires et y demeureront jusqu’à l’heure de onze heures et pendant ce temps enseigneront, ledit Leblanc tous les enfans en l’art d’escripture qui s’offriront à lui pour être enseignés, et ledit Arnault tous les ABCdaires » (Id., ib., 23).

  1. Voir en particulier le Traitté hist. des Ecoles, 474-5, Jourdain, Hist. de l’Univ. de Paris, 215, Preuves, Félibien, Hist. de Paris, Preuves, III, 447.
  2. « On demandera peut-estre pourquoi le Chantre de Paris reçoit des Maistres d’Eschole sans étude, et qui ne peuvent pas monstrer l’Orthographe, puis que ne sçachant point de Latin ils n’en sont pas capables, et que neantmoins l’Orthographe est de leur profession.

    À cela le Chantre répond…… qu’il n’entend point que les Maistres d’Eschole se mêlent d’enseigner autre chose que ce qu’ils sçavent……

    Ainsi c’est une illusion, que les Maîtres Escrivains se vueillent mêler d’enseigner l’Orthographe, qui est de apicibus Grammaticæ, ne la sçachans pas eux-mêmes suffisamment pour l’enseigner, quoi qu’ils en puissent sçavoir quelque chose par routine, comme il arrive aux femmes dont les unes sçavent orthographer passablement » (Traitté hist. des Ecoles, 482-4).

  3. « C’est… pourquoi les Maistres d’Eschole se sont pourveus… contre l’Arrest du 2 Juillet 1661 qui porte, que les Escrivains pourront avoir des écrits ou des livres imprimez pour monstrer l’orthographe, sans que pour ce ils puissent aucunement monstrer à lire ; car cette seule permission qui leur a été donnée est une destruction entiere des Petites Ecoles, parce qu’en même temps que l’Arrest leur deffend de monstrer à lire, il leur permet en effet de le faire, en disant qu’ils pourront avoir des escrits etc… Car de cette façon il n’y a point d’Escrivain qui faisant lire ses écoliers dans ces escrits… ne puisse dire que c’est pour l’orthographe » (Traitté hist. des Ecoles, 485-6).