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CHAPITRE III

NOUVEAUX PROGRÈS DE L’IDÉE DE RÉFORME. PORT-ROYAL. P. CORNEILLE

Arnaud et Lancelot étaient des penseurs trop puissants pour ne pas apercevoir la correspondance étroite qui devrait exister entre l’écriture et la prononciation ; ils ont marqué fortement leur doctrine dans un premier chapitre de la Grammaire Générale : suivant eux il « auroit fallu observer quatre choses pour mettre l’usage des lettres en sa perfection (19) :

1° Que toute figure marquast quelque son, c’est à dire, qu’on n’écriuist rien qui ne se prononçast.

2° Que tout son fust marqué par vne figure, c’est à dire, qu’on ne prononçast rien qui ne fust écrit.

3° Que chaque figure ne marquast qu’vn son, ou simple, ou double. Car ce n’est pas contre la perfection de l’écriture qu’il y ait des lettres doubles, puis qu’elles la facilitent en l’abregeant.

4° Qu’vn mesme son ne fust point marqué par de differentes figures ».

Toutefois, dans la pratique, les solitaires ne partagent pas les illusions des révolutionnaires, et ils considèrent une réforme générale comme utopique[1]. Ils accepteraient un programme assez large :

  1. « Quelques-vns se sont imaginez qu’ils pourroient corriger ce défaut dans les Langues vulgaires, en inuentant de nouueaux caracteres, comme a fait Ramus dans sa Grammaire pour la Langue Françoise, retranchant tous ceux qui ne se prononcent point, et écriuant chaque son par la lettre à qui cette prononciation est propre, comme en mettant vne s, au lieu du c, devant l’e et l’i. Mais ils deuoient considerer qu’outre que cela seroit souuent des-auantageux aux Langues vulgaires, pour les raisons que nous auons dites, ils tentoient vne chose impossible. Car il ne faut pas s’imaginer qu’il soit facile de faire changer à toute vne Nation tant de caracteres ausquels elle est accoustumée depuis long-temps, puis que l’Empereur Claude ne pût pas mesme venir à bout d’en introduire vn, qu’il vouloit mettre en vsage. Tout ce que l’on pourroit faire de plus raisonnable, seroit de retrancher les lettres qui ne seruẽt de rien ny à la prononciation, ny au sens, ny à l’analogie des Langues, comme on a déja commencé de faire, et conseruant celles qui sont vtiles, y mettre des petites marques qui fissent voir qu’elles ne se prononcent point, ou qui fissent connoistre les diuerses prononciations d’vne mesme lettre. Vn point au dedans ou au dessous de la lettre, pourroit seruir pour le premier vsage, comme temps. Le c, a déjà sa cedille, dont on pourroit se seruir deuant l’e, et deuant l’i, aussi bien que deuant les autres voyelles. Le g, dont la queuë ne seroit pas toute fermée, pourrait marquer le son qu’il a deuant l’e et deuant l’i. Ce qui ne soit dit que pour exemple » (Grammaire generale et raisonnée, p. 21-23).