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CHAPITRE IV

FÉMININ DES NOMS

Masculins et féminins. — Le féminin des noms a été longuement étudié dans le tome précédent, où j’ai même suivi au delà de 1660 le développement et la décadence des diverses formes (cf. t. III, 280). Il me reste à marquer quelques faits plus particuliers à notre période.

Ménage voit bien que certaines formes féminines des noms paraissent choquer. Martyr fait martyre, mais bourelle ou tyranne ne plaisent plus, malgré les autorités dont on peut les appuyer. Corneille avait dit dans le Cid : Non je suis ta partie, et non pas ton bourreau (O., I, 75-76). En parlant à une femme, remarque Leven de Templery, on dira : Vous etes mon tiran (Entr. à Madonte, 56).

Ménage conseille aussi, pour ne pas dire poétesse, de garder la forme du masculin poëte, quoiqu’il soit plus prudent d’éviter l’un et l’autre. Philosophe, propriétaire, dépositaire se diront de femmes, non propriétairesse (O., II, 419-420)¹.

Andry va plus loin. Élargissant la théorie de Balzac, dont j’ai parlé et qu’il copie, il conseille de préférer : cette femme Poëte, Philosophe, Medecin, Auteur, Peintre, à Poëtesse, Philosophesse, Medecine, Autrice, Peintresse. Il accepte la Galere Capitainesse, mais non une Capitainesse (Refl., 228). Les féminins s’appliquant à des professions féminines libérales se trouvent donc exclus de la langue. Pour les noms d’autres catégories, il semblerait qu’on tienne à garder une forme féminine. Ainsi on reproche à Molière de n’avoir pas dit bouchonne². Petit raille ceux qui ont supprimé vieillarde³.

1. Avocate donna lieu à des controverses. Le mot avait été évité par d’Ablancourt dans son Lucien : je veux prendre la vérité pour mon Avocat, avait-il écrit. Richelet en avait sans doute discuté avec lui ; il soutint qu’il fallait dire ici avocate, comme les éditeurs ultérieurs de d’Ablancourt l’on fait. Alemand, reprenant la question, accepterait : je ne veux point d’autre Avocate que vous, Madame ; mais il écrirait : mon innocence sera en cette rencontre mon seul Avocat (Guer. civ., 185-186 : cf. A. de B., Refl., 228).

2. Il est dans la Devineresse de Th. Corneille et de Visé (act. II, se. 3, Th. fr., VIII, 121). Bûcheronne est dans Perrault (Contes, 141).

3. Dial. sat. et mor., 134-137.