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« Observons donc d’abord que la seule distinction essentielle, entre l’art décoratif et tout autre art, est, que le premier est fait pour un endroit déterminé, et, en cet endroit, relié ou en subordination, ou en commandement, à l’effet d’autres œuvres d’art. Et le plus grand art que le monde a produit est celui qui est ainsi fait pour une place déterminée, et subordonné à un projet déterminé. Il n’y a pas d’art du plus haut rang qui ne soit décoratif[1]. La meilleure sculpture produite jusqu’ici a été la décoration du fronton d’un temple, la meilleure peinture, la décoration d’une chambre. Le chef-d’œuvre de Raphaël est simplement la peinture d’un mur ou d’une suite d’appartements du Vatican, et ses cartons ont été faits pour être exécutés en tapisserie. La meilleure œuvre du Corrège est la décoration des coupoles de deux petites églises à Padoue ; le chef-d’œuvre de Michel-Ange est la décoration d’un plafond dans la chapelle privée du Pape ; celui du Tintoret la décoration d’un plafond et des murs du local d’une société de bienfaisance à Venise, tandis que Titien et Véronèse jetaient leurs plus belles pensées non pas même à l’intérieur, mais à l’extérieur des murs de Venise, faits de brique commune et de plâtre.

« Débarrassez-vous donc, tout de suite, de cette pensée que l’art décoratif est un art tombé, ou une espèce spéciale d’art. Sa nature consiste simplement en ce qu’il est fait pour une place déterminée, et en cette place il fait partie d’un grand et harmonieux ensemble, en compagnonnage avec les autres arts ; et bien loin d’être un art dégradé, bien loin d’être infé-

  1. Aux exemples concluants et bien choisis que M. Ruskin donne pour l’art ancien, on pourrait en ajouter d’autres pris dans l’art contemporain et pour ne renseigner que les plus frappants je citerai, en Angleterre, les fresques de Ford-Madox Brown pour l’hôtel de ville de Birmingham, en France, les peintures décoratives de M. Puvis de Chavannes au Panthéon et dans le hall des Musées d’Amiens, chez nous, enfin, les belles fresques de l’hôtel de ville d’Anvers, exécutées par Leys.
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