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QUESTIONS DE CRITIQUE

« c’est en nous que l’on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres » ; et il faut tâcher de penser à notre tour comme eux, c’est-à-dire librement et naturellement, mais non pas d’après eux. Sachons le latin, si nous le voulons, et le grec, si nous le pouvons, mais soyons d’abord honnête homme ; et, pour cela, faisons sortir la science des antres qu’elle habite, ôtons-lui son aspect sordide, pédantesque et rébarbatif, menons-la dans le monde, parmi les gens de cour et les femmes, rendons-la intelligible, accessible, profitable par suite à ceux qui n’en font pas, qui n’en feront jamais profession. Et, si nous écrivons, souvenons-nous enfin que ce n’est pas pour les quelques personnes qui connaissent aussi bien et quelquefois mieux que nous la matière dont nous traitons, mais, au contraire, pour la mettre à la portée de ceux qui la connaissent moins, qui ont le droit de la moins connaître, et qui veulent cependant la connaître.

On comprendra mieux la portée de cet enseignement, donné lui-même sans nul pédantisme, persuadé, insinué plutôt que donné, si l’on en veut bien suivre quelques-unes des conséquences dans notre histoire littéraire. En imposant à l’écrivain des qualités d’ordre et de clarté qu’elles-mêmes, d’ailleurs, n’ont pas toujours quand elles écrivent, mais dont elles sentent vivement tout le prix, les femmes ont assuré la perfection de la prose française et sa domination longtemps universelle. L’un des mérites