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QUESTIONS DE CRITIQUE

sard et la Pléiade avaient inutilement essayé de nous tirer de l’ornière ; le fond gaulois revenait, reparaissait toujours, montait jusqu’à la surface, s’y étalait avec ampleur, complaisance et cynisme. A la délicate et subtile allégorie de l’Astrée, trop longue, mais, dans sa mièvrerie même et sa sentimentalité, si charmante ! on répondait par l’Histoire comique de Francion, comme en d’autres temps et dans un autre pays, Fielding répondra par son Joseph Andrews et son Tom Jones aux longs romans de Richardson. Un autre s’étonnait que madame de Rambouillet ne supportât pas d’entendre couramment prononcer devant elle les mots du vocabulaire de Rabelais. « Cela va dans l’excès, disait-il ; il n’y a plus de liberté. » Et une fois de plus, enfin, nous tombions du côté où nous penchons toujours, si les précieuses n’étaient intervenues pour nous en avertir et nous en préserver. Elles n’ont pas réussi tout de suite ; mais il n’a pas tenu à elles que la littérature française rompit entièrement, dès le commencement du xviie siècle, avec la tradition gauloise ; et, sans doute, c’eût été dommage, si d’ailleurs c’eût été possible ; mais du moins nous ont-elles appris à modérer les écarts d’une verve grossière, et à tout faire passer, comme dit La Fontaine, à la faveur du mot, puisqu’en France il faut que tout passe. Les Gaulois de race eux-mêmes doivent leur savoir gré de tout ce qu’un habile et ingénieux déguisement donne de plus piquant, aux idées de certaines choses.