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QUESTIONS DE CRITIQUE

autours, la succession n’en a pas été si régulière, la tradition si constante que chez nous ; et une histoire littéraire des femmes de France nous retracerait presque année par année l’histoire même de notre littérature nationale. Ne pouvant avoir ici la prétention de l’écrire, ou seulement de l’ébaucher, nous pouvons toujours essayer de dire comment nous la comprendrions, et d’indiquer à grands traits en quel sens l’influence des femmes s’est exercée sur notre littérature.

Il n’est pas nécessaire, pour cela, de remonter dans notre histoire au-delà du xvie siècle siècle. Nous ne connaissons assez ni la littérature ni les mœurs du moyen âge : d’une part, nous ne trouvons rien, dans aucune littérature, qui soit plus grossier, plus brutal, moins poli que nos vieux fabliaux ; d’autre part, on ne s’expliquerait pas, sans la complicité, l’exemple, et l’autorité des femmes, le prodigieux succès des poétiques romans, mystiques même, de la Table-Ronde ; mais ce que nous ne voyons pas, ce que du moins, quant à moi, j’avoue humblement que je ne vois pas encore, c’est le lien, c’est le rapport de tant de cynisme avec tant de délicatesse, de la première partie du Roman de la Rose avec la seconde. La chronologie, l’ethnographie, la philologie nous le diront sans doute un jour ; elles distingueront avec une netteté parfaite ce que nous mêlons et confondons ensemble ; mais, en attendant, ni nous ne le distinguons avec assez de certitude, ni elles-mêmes ne nous le disent avec assez d’assurance. Nos érudits ont