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242 QUESTIONS DE CRITIQUE est cette recommandation aux poètes et aux roman- ciers d’être eux-mêmeS; quand ils ne le peuvent pas être, mais seulement les singes des originaux qu’ils admirent? Combien de talents Baudelaire a-t-il égarés ! et combien ses Fleurs du mal, en fructifiant, ont-elles empoisonné de collégiens naïfs! Et je ne l’en rendrai pas, si l’on veut, responsable, mais tout de même on conviendra qu’il est un mauvais maître de franchise et de sincérité. MM. de Goncourt en sont- ils de meilleurs ? Ils sont bien pour cela trop artistes, je veux dire trop soucieux du procédé, de la manière, et de l’effet à produire. Avant d’écrire ses Mémoires ou de se confesser, soit en vers, soit en prose, il faudrait bien aussi que l’on se fût assuré de la rareté de ses impressions, et pour cela que, sortant de soi-même, on eût un peu étudié le monde, et voire les livres au besoin. C’est ce que ne font pas aujourd’hui nos auteurs. Faute de regarder autre part qu’en eux, ils s’imaginent trop aisément qu’il n’y a qu’eux au monde, et que nul autre avant eux n’a connu leurs aventures, leurs joies ou leurs tristesses. Peut-être cependant qu’au fond les hommes ne diffèrent pas entre eux autant qu’on le veut bien dire, ni les femmes non plus, et

que, si tout le monde n’est pas fait comme notre 
famille, cependant notre famille aussi ressemble à 

quelques autres. C’est un thème facile à développer que celui de la diversité des humeurs et des goûts; mais le thème opposé, celui de leur identité, n’est pas