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LA LITTÉRATURE PERSONNELLE 213 de nos qualités; nous aimons qu'on sache qui nous fûmes, d'où nous venions, ce que nous pouvions, de quoi nous eussions été dignes en un siècle moins in- grat, et ce que le monde, en nous perdant, ne se douterait pas qu'il eût perdu, si nous n'eussions nous-mêmes pris le soin de l'en instruire. C'est pour- quoi, moderne ou ancienne, pas une littératnre n'est plus riche en Correspondances, Mémoires et Jour-- nauXy — Correspondances un peu de toute sorte, Mémoires de toute condition, si je puis ainsi dire, puisque enfin les plus spirituels peut-être que nous ayons sont d'une femme de chambre. Mademoiselle Delaunay, et les plus éloquents du plus éloquent des laquais : c'est Rousseau. Que dis-je? toutes les autres littératures ensemble sont moins riches en confessions que la nôtre à elle toute seule; et l'on voit que les étrangers, quand ils veulent ainsi faire à la postérité les honneurs de leur personne, c'est notre langue en- core qu'ils choisissent, comme si la vanité de par- ler de soi s'y déguisait peut-être sous des dehors plus aimables, et que les tours de l'amour-propre^plus va- riés, y fussent plus délicats qu'en russe, ou moins apparents qu'en allemand. Mais il faut convenir que jamais, à aucune époque, de ces Journaux ou de ces Mémoires^ on n'en avait tant vu paraître que dans ces dernières années ou dans ces derniers mois, de- puis le Journal intime d'Henri-Frédéric Amiel jus- qu'aux Mémoires de cette petite peintresse de Marie Baskircheff, ou depuis les confessions du trop fa-