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212 QUESTIONS DE CRITIQUE ni moins importante : celle de savoir en quelle me- sure et jusqu’à quel point réerivain doit laisser pa- raître sa personne dans son œuvre, s’y mettre lui- même avec les siens en scène, faire des vers avec ses amours ou des romans avec ses aventures, de la cri- tique avec son « tempérament », — ce qui veut dire avec ses nerfs ou avec ses humeurs, — et de l’histoire enfin, comme quelques historiens, ou comme la plu- part des auteurs de Mémoires, avec le ressentiment de ses ambitions déçues, de ses haines exaspérées par les souffrances de son orgueil et de sa vie manquée. Que si, d’ailleurs, pour nous justifier de traiter cette question, nous avions besoin d’un prétexte, ou même de raisons et de très bonnes raisons, de raisons très « actuelles », nous n’en manquerions point. Tout le monde sait en effet que, depuis quelque temps, il n’est bruit partout autour de nous que de Mémoires, de Journaux et de Correspondances. On dirait que nos auteurs, après avoir parcouru le monde, n’y ayant rien trouvé de plus intéressant qu’eux-mêmes, n’ima- ginent pas aussi qu’il y ait rien de plus curieux pour nous. Et, à la vérité, c’a été de tout temps un vice bien français que cette manie défaire figure, de prétendre pour sa personne une estime ou une sym- pathie que nos contemporains ont eu parfois le mau- vais goût de refuser à nos œuvres ou à nos actes. Nous nous complaisons naturellement en nous- mêmes, aussi fiers, ou davantage, de nos défauts que