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QUESTIONS DE CRITIQUE

Paris, en l’honneur de Molière, des mets choisis, on mangera donc désormais, à Meudon, au printemps, en l’honneur de Rabelais, des mets sans doute plus champêtres, tels que tripaille ou gaudebillaux : « gaudebillaux, — pour que nul n’en ignore, — sont grasses tripes de coiraux ; coiraux sont bœufs engraissés à la crèche et prés guimaux ; prés guimaux sont qui portent herbe deux fois l’an. » S’il est permis aux Moliéristes. à l’imitation de Molière lui-même, qui vivait de régime, d’avoir l’estomac délicat, les Rabelaisiens doivent l’avoir plus robuste, moins difficile, et capable au besoin de digérer les pires crudités.

J’espère cependant, puisqu’ils ont tant fait que de former une société, que ces Rabelaisiens voudront aussi qu’il en sorte un jour quelque chose. Car tout le monde parle de Rabelais, mais, en réalité, peu de gens l’ont lu jusqu’au bout, et je ne sache guère de grand écrivain dont la légende populaire ait plus étrangement défiguré la vraie physionomie. Si nous en avons de nombreuses éditions, et de fort belles, — j’entends de fort bien imprimées, — il n’y en a pourtant pas une dont on puisse dire qu’elle soit tout à fait satisfaisante, pas une dont le texte ou le commentaire ne laissent beaucoup encore à désirer. Et, tandis que l’inexactitude ou l’erreur, depuis qu’elle s’y sont mises, continuent de fourmiller dans les meilleures biographies que l'on ait de l’homme, l’œuvre elle-même, toujours énigmatique, malgré tant d’interprétations que l’on en adonnées, demande