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mais les œuvres demeurent, et ceux-là, dans l’histoire de la littérature et de l’art sont les vrais maîtres, dont les œuvres survivent à l’influence. Leconte de Lisle est l’un d’eux. Marqués pour l’éternité dès leur première apparition, les Poèmes antiques et les Poèmes barbares n’ont pas pris depuis lors une ride ;


Les ans n’ont pas pesé sur leur grâce immortelle ;


ou, pour mieux dire, et ne pas sacrifier la justesse de l’expression au plaisir de citer un dernier vers du poète, le temps n’en a ni terni le durable éclat, ni entamé la solidité. Sans doute ils ne se valent pas tous, et l’avenir fera son choix entre eux. Mais ce que l’on peut affirmer dès aujourd’hui, c’est que personne en français, ni Ronsard dans ses Odes et surtout dans ses Hymnes, ni Chénier dans ses Idylles, ne nous ont donné de la beauté grecque une plus vive et plus ressemblante image que l’auteur de la Plainte du Cyclope ou d’Héraklès au taureau. Que si cependant quelques délicats, trouvant que ce mérite est d’un archéologue ou d’un érudit autant que d’un poète, le reconnaissaient, mais ne l’admiraient que du bout des lèvres, on n’insisterait pas — et par exemple, on ne leur ferait pas observer qu’ils n’en louent pas eux-mêmes de plus éminent dans Théocrite ou dans Virgile — mais on leur rappellerait que personne n’a peint avec plus de grandeur et de vérité que Leconte de Lisle ces tableaux de la nature, dont la Panthère noire et le