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talement, que l’humanité s’éteindrait, à placer si haut son idéal ! et après tout, dans sa brutalité, la réponse ne manquerait pas de bon sens. On ne saurait entièrement séparer l’art d’avec la vie. Mais je n’insiste pas, si la doctrine de l’art pour l’art, dangereuse en tant d’autres genres, l’est sans doute beaucoup moins qu’ailleurs en poésie ou en peinture. Au surplus, comme je l’ai montré, si Leconte de Lisle s’est fait une religion de la doctrine de l’art pour l’art, il n’a pas laissé d’oublier quelquefois ce que les observances pouvaient en avoir d’étroit ou de rigide, et son œuvre, telle que je viens d’essayer de la résumer, est pénétrée de plus « d’humanité » qu’il ne croyait lui-même peut-être y en avoir mis.


Ô nuit ! Déchirements enflammés de la nue,
Cèdres déracinés, torrents, souffles hurleurs,
Ô lamentations de mon père ! ô douleurs !
Ô remords ! vous avez accueilli ma venue
Et ma mère a brûlé ma lèvre de ses pleurs !

Buvant avec son lait la terreur qui l’enivre
À son côté, gisant livide et sans abri,
La foudre a répondu seule à mon premier cri ;
Celui qui m’engendra m’a reproché de vivre,
Celle qui m’a conçu ne m’a jamais souri !


Ce cri de Qain vivra sans doute autant que la langue française, et, — pourrait-on dire, — de quoi l’éloquence en est-elle faite, sinon de la fatalité que le péché d’Adam continue de faire peser, depuis tant de siècles, sur sa race ; et qu’y a-t-il de plus humain ?

Il est temps de conclure. Les influences passent,