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signe, c’est à ce caractère d’originalité dans le déjà vu que l’on reconnaît les évolutions légitimes.

Que maintenant nos poètes aient à leur tour dépassé le point où s’étaient arrêtés les Poèmes barbares et les Poèmes antiques, c’est une autre question, qui nous entraînerait trop loin, si nous voulions l’examiner aujourd’hui. Bornons-nous donc à rappeler que peut-être, en réagissant contre les libertés extrêmes du romantisme, et en rappelant le poète au respect de la forme comme à l’une de ses raisons d’être, Leconte de Lisle a contraint l’inspiration dans des bornes quelquefois trop étroites. « Honneur et respect à la beauté de la forme ! » s’écrie quelque part George Eliot. Et en effet, avant tout, — et avant même d’être pleins de pensées profondes, — il se pourrait que des vers dussent être des vers. Il est certain également que des vers qui ne sont ni rythmés ni rimés ne sont pas des vers, en français du moins, mais de la prose. Quelle que soit cependant la rigueur de ces principes, on n’a jamais nié qu’elle pût fléchir, et Boileau lui-même n’a pas craint de l’accorder. Mais c’est un autre problème aujourd’hui qui se pose, et, sans nous attarder à d’inutiles détails, on demande si quelque vague, et quelque imprécision, ne seraient pas une partie de la définition même de la poésie. La poésie peut-elle enchaîner la liberté de l’imagination et lier les ailes du rêve ? Son pouvoir propre ne tient-il pas autant de celui de la musique que de celui de la plastique ? et ne détruit-on pas son charme le plus subtil