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l’étendant de la sorte on la dénaturait, c’est tout justement le contraire. Nous sommes hommes avant d’être nous-mêmes, et le poète n’a le droit de rien exprimer dans ses vers qui lui soit proprement et absolument unique.


III


Que valent cependant ces exemples et ces leçons ? On ne peut au moins leur disputer d’avoir beaucoup agi. Si Leconte de Lisle, pendant de trop longues années, n’a guère été connu que des habitués ou des initiés du Parnasse ; des poètes, ses émules ; et de quelques passionnés de critique ou d’art, comme Flaubert et comme Sainte-Beuve ; son influence n’en a pas été moins considérable, puisqu’elle s’est précisément exercée sur les rares disciples, sur les disciples choisis, qui suffisent en tout genre à soutenir et à propager l’enseignement d’un maître. Qu’importe après cela que la foule, et quelques poètes même, comme Lamartine et Hugo, n’aient appris que beaucoup plus tard à prononcer le nom de Leconte de Lisle ! Il avait passé la soixantaine quand il vint s’asseoir à l’Académie française dans le fauteuil d’Hugo. Mais il n’y avait pas moins de vingt ans alors, ou davantage, qu’il était le maître incontesté de toute une jeune école, et on en trouverait la preuve matérielle, s’il en fallait une, dans la manière dont Gautier