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C’est le cri d’Alfred de Vigny dans ses Destinées :


Le juste opposera le dédain à l’absence,
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.


Mais la vibration s’en est comme accrue de tout ce que la contemplation de l’universelle misère a comme ajouté d’intensité nouvelle à la conscience de la misère humaine, et l’anathème du poète s’est étendu désormais à l’œuvre des six jours de la création tout entière.

Si c’est là ce qui fait la portée vraiment métaphysique de son œuvre, ai-je besoin d’ajouter que rien encore ne la distingue plus profondément de celle du romantisme ? Au moins je ne connais pas d’optimismes plus déterminés que Lamartine ou Alfred de Musset, et si les Victor Hugo, par exemple, ou les George Sand ont semblé croire quelquefois à l’existence du mal, ils ont toujours cru d’autre part, — et les Misérables ou le Compagnon de Tour de France ne tendent pas à une autre fin, — et ils sont morts convaincus qu’un peu de bonne volonté pouvait suffire à chasser la misère, la souffrance, l’injustice, le vice et le crime de la surface de leur planète. Leconte de Lisle au contraire, a toujours considéré que le premier bonheur pour l’homme étant « de ne pas naître », le second était de mourir, ce qui est la formule même du pessimisme de Schopenhauer et de Çakya Mouni. Dans la nature et dans l’histoire, mais surtout dans