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marche à travers le désert, ou chiens qui hurlent sur les plages, si leur âme est rudimentaire, ils en ont pourtant une :


Devant la lune errante aux livides clartés,
Quelle angoisse inconnue, au bord des noires ondes,
Faisait pleurer une âme en vos formes immondes,
Pourquoi gémissiez-vous, spectres épouvantés ?


La réponse est facile : quelque chose se passe en eux d’analogue à ce qui se passe en nous, ou plutôt, comme nous, ils ne sont que le support mobile et changeant des manifestations de la nature en eux. Car la nature est une, identique en son fond sous la diversité des apparences, et c’est ce que l’antique sagesse de l’Inde ou les mythologies en général avaient si bien compris. Roi de l’espace et des « mers sans rivages » quand l’Albatros :

 
Vole contre l’assaut des rafales sauvages,


il ne saurait le dire, mais l’orgueil de la lutte et la joie de la victoire se lisent dans la sûreté de son coup d’aile. Et quand l’aigle, à travers la plaine, cherchant une proie pour ses aiglons, l’emporte, il n’est, comme nous le disons, dans notre ordinaire incapacité de sortir de nous-mêmes, ni pillard, ni cruel, ni sanguinaire, mais il suit sa nature, ainsi que nous faisons la nôtre ; il est l’aigle ; et sa prétendue férocité n’est faite que de la puissance de l’instinct maternel en lui : il travaille à sa conservation, et à celle de son espèce.