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Sous les noirs acajous, les lianes en fleurs
Dans l’air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, — et s’enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L’araignée au dos jaune, et les singes farouches.
C’est là que le tueur de bœufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l’écorce moussue,
Sinistre et fatigué revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu’il bossue ;
Et du mufle béant par la soif alourdi
Un souffle rauque et bref, d’une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l’herbe rousse.
En un creux du bois sombre, interdit au soleil,
Il s’affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D’un large coup de langue il se lustre la patte
Il cligne ses yeux d’or hébétés de sommeil ;
Et dans l’illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu’au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d’un bond ses ongles ruisselants.
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.


Lisez encore le Bernica, la Ravine Saint-Gilles, la Forêt vierge, un Coucher de soleil. Incomparables de vérité, sans analogues dans l’histoire de notre poésie — comme les animaux de Barye le sont dans l’histoire de la sculpture, — toutes ces descriptions ont un sens et une portée philosophiques. Dans les appétits ou dans les instincts des animaux le poète se plaît à nous montrer l’origine lointaine, la genèse obscure des nôtres, et en effet, nous nous y reconnaissons. Nous ne formons pas dans la nature un empire dans un empire et il n’y a pas de « règne humain ». Là est la nouveauté, là l’originalité de ces « tableaux » qu’on croirait détachés du Cosmos de Humboldt. Éléphants en