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NOUVEAUX ESSAIS

Mais nous avons promis de n’en rien dire, et encore une fois, bien loin de vouloir diminuer le talent de Baudelaire, il nous importe aujourd’hui qu’il en ait eu beaucoup. Plus en effet on lui en reconnaîtra, plus il sera coupable d’en avoir fait un détestable usage. C’est le seul point sur lequel je voudrais voir enfin ses admirateurs s’expliquer, et nous dire s’ils croient que, d’avoir corrompu la notion même de l’art, ce soit un honneur à mériter des statues.

Que si d’ailleurs on s’étonnait de nous voir attribuer tant d’importance à un hommage aussi banal que celui qui consiste à tailler en marbre l’image approximative d’un Baudelaire, nous avons déjà répondu, mais il ne sera pas inutile d’ajouter quelques mots encore. Tout au rebours des dilettantes et des sceptiques, — dont le dilettantisme ici s’accommode merveilleusement avec les intérêts de leur tranquillité, — nous croyons que rien au monde n’est ce qu’ils nomment indifférent, et que, comme tout a sa raison d’être, tout aussi a ses conséquences. Quand on aura donc plus ou moins spirituellement plaisanté quelques héros douteux ou quelques cérémonies ridicules, — et, en vérité, ce genre de plaisanterie, qui n’a rien aujourd’hui de bien neuf, n’a rien non plus de bien difficile ! — il ne restera pas moins qu’étant une forme du respect de ceux qui ne sont plus, un perpétuel témoignage de la continuité de la patrie, et une manière de placer l’objet de la vie en dehors et au-dessus d’elle-même, l’usage d’élever des statues fera