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SUR LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE.


œuvre, — de ses chagrins et de ses joies, de ses amours et de ses rêves, — mais, sous prétexte de se développer dans le sens de ses aptitudes, il n’y a plus rien qu’il respecte ou qu’il épargne, s’il n’y a plus rien qu’il ne se subordonne, ce qui est, pour le dire en passant, la vraie définition de l’immoralité. Se faire soimême le centre des choses, au point de vue philosophique, l’illusion est aussi puérile que de voir dans l’homme « le roi de la création », ou dans la terre ce que les anciens appelaient « le nombril du monde » ; mais, au point de vue purement humain, c’est la glorification de l’égoïsme, et par suite la négation même de la solidarité. Dans l’œuvre de Baudelaire, les derniers liens qui rattachaient encore le lyrisme romantique à l’humanité sont rompus, et le monstrueux orgueil du poète n’est fait que de son mépris pour ses semblables.


Tous ceux qu’il veut aimer l’observent avec crainte,
Ou bien, s’enhardissant de sa tranquillité,
Clierclient à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l’essai de leur férocité.

Dans le pain et le vin destinés à sa bouche,
Ils mêlent de la cendre avec d’impurs cracliats,
Avec hypocrisie ils jettent ce qu’il touche.
Et s’accusent d’avoir mis leurs pieds dans ses pas…


Indépendamment du procédé que nous avons indiqué plus haut, et dont on saisira facilement l’application dans ces vers, il n’y a là de personnel ou d’un peu nouveau que l’accent de haine ou de colère, la satisfaction d’être soi-même, et la fausse