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SUR LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE.

pour la bizarrerie, et personne peut-être, de notre temps, n’a mieux plaidé la cause de l’art pour l’art ou celle de la décadence. La place nous manque aujourd’hui pour les discuter à notre tour. Mais, en tout cas, ce que Baudelaire n’a pas établi, c’est que la décadence ne fût pas le commencement de la décomposition finale ; et quant à la théorie de l’art pour l’art, il n’a pas triomphé de la contradiction qu’elle implique, si l’art, sous toutes les formes, est une création de l’homme. Le séparer de l’homme et de la vie, que dis-je ! lui donner pour objet de les « dénaturer », c’est donc tout simplement lui enlever sa raison d’être, puisqu’en le coupant de ses communications nécessaires, c’est tarir pour lui la source même de son renouvellement.

Quel intérêt pourrions-nous prendre à des vers comme ceux-ci :


Non d’astres, mais de colonnades.
Les étangs dormants s’entouraient,
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes se miraient…

Des nappes d’eau s’épanchaient, bleues.
Entre des quais roses et verts.
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l’univers.


Pensée, sentiment, sensation même, tout y manque ; ce ne sont que des formes vides ; et la seule impression qu’on en garde est celle d’un vain cliquetis de mots.