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NOUVEAUX ESSAIS


dans les Femmes damnées, ou tout ce que, comme dans une Martyre, le crime a de plus dégoûtant.


Dans une chambre tiède où, comme en une serre.
L’air est dangereux et fatal,
Où des bouquets mourants dans leurs cercueils de verre.
Exhalent leur soupir final.

Un cadavre sans tête épanche, comme un fleuve,
Sur l’oreiller désaltéré.
Un sang rouge et vivant…


Mais d’idéaliser le vice, ou de faire un peu plus que de matérialiser l’idéal, cela ne se compense pas ; cela s’ajoute ; et le résultat le plus clair en est d’avoir introduit dans notre poésie française une constante préoccupation de l’ignominie. La mettre aujourd’hui dans le choix des sujets, et demain dans la manière de les traiter, c’est toute une part du baudelairisme ; et j’entends bien qu’il faut le constater ; mais de l’admirer, c’est une autre affaire, et de le glorifier, c’est ce qui serait monstrueux. Il faut passer à l’art toutes les libertés, excepté celle d’employer ses moyens à se détruire lui-même.

C’est cependant à quoi Baudelaire s’est évertué d’une autre manière encore, en affectant comme théoricien de ne voir dans l’art que l’artificiel ; et, par ce mot, nous dit Gautier dans sa Notice, « il entendait une création d’où la nature est complètement absente ». Nous pouvons ajouter que, s’il ne la justifiait pas, il défendait du moins par des arguments très subtils, cette préférence qu’il s’était donnée