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SUR LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE.


nous aurons ainsi fait, ce sera d’avoir comme ranimé une popularité qui commençait à s’user.

Nous, cependant, à notre tour, ce qui nous paraîtrait vraiment plus prudhommesque encore que de protester contre la statue de Baudelaire, ce serait de répondre à ce bel argument ! Aussi, pour ne pas trop étendre et dénaturer la question, nous suffira-t-il de faire observer qu’une statue qu’on élève est toujours, dans l’intention de ceux qui l’élévent, un liommage et un exemple. C’est une opinion qu’on affirme, c’est une conviction qu’on étale, c’est quelquefois une victoire qu’on proclame, mais c’est toujours un modèle qu’on propose. Homme politique ou soldat, poète ou philosophe, en souscrivant à sa statue, nous souscrivons, si je puis ainsi dire, à l’idée qu’un homme a représentée dans l’histoire. Celui-ci, c’est la « tolérance », et celui-là, c’est le « patriotisme ». Quelques reproches que l’on puisse d’ailleurs adresser à leur mémoire, ou quelque illusion que l’on se fasse trop souvent sur eux, on reconnaît et on déclare qu’en somme, et tout considéré, ils ont, comme on disait jadis, bien mérité de leurs contemporains, de leur patrie ou de l’humanité. Si on ne le croyait pas, on soulèverait contre soi l’opinion. Mais qui ne voit qu’en même temps on conseille de les imiter ? que du haut de leur piédestal, ils invitent eux-mêmes l’enfance ou la jeunesse à faire ce qu’ils ont fait ? qu’ils se dressent là, sur nos places publiques, en objet d’émulation à ceux qui viendront après eux ? Et qui refusera