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SUR LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE.


En ouvrant un coffret venu de l’Orient,
Dont la serrure grince, et rechigne en criant ;

Où, dans une maison déserte, quelque armoire
Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire ;
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D’où jaillit toute vive une âme qui revient.

Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres.
Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres.
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor.
Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige
Dans l’air troublé ; les yeux se ferment ; le Vertige
Saisit l’âme vaincue, et la pousse à deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmes humains…


Si la forme, si la facture de ces vers n’a rien de très original, ou si peut-être encore, cette poésie de la sensation n’était pas absolument nouvelle aux environs de 1838, cependant on ne l’avait pas demandée jusqu’alors au plus suggestif peut-être, mais le plus « animal » aussi de tous nos sens : j’entends le seul dont les plaisirs n’aient jamais en soi rien d’intellectuel, le plus grossier par conséquent ; et, pour cette raison peut-être, le seul dont aucun poète, avant Baudelaire, ne se fût avisé de se faire un art, une « manière, » ou un procédé, de noter les impressions. Il était d’ailleurs naturel, ou plutôt inévitable que la poésie, que le roman même fissent du procédé d’autant plus d’emploi qu’ils se matérialiseraient davantage ; et c’est efîceliveiuent ce qui est arrivé. Les « symphonies » d’odeurs où se complaisait naguère M. Zola, celles qui « chantent »