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SUR LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE.


plus illustres que Baudelaire, de mieux doués, de plus simples surtout et de plus sains, n’en ont certainement pas exercé de semblable.

Il a dû beaucoup à ses prédécesseurs : Gautier, Vigny, Sainte-Beuve. Supposé qu’il existe une poésie de l’hôpital ou du mauvais lieu, palhologir|ue, pour ainsi dire, vicieuse et profondément gangrenée, c’est, en effet, Sainte-Beuve qui l’avait jadis imaginée le premier, qui s’y était même hypocritement essayé dans son Joseph Delorme ; et Baudelaire, plus franc ou plus cynique, n’a fait que la réaliser. D’un autre côté, quand il louait lui-même Théophile Gauthier « d’avoir exprimé sans fatigue, sans effort, toutes les attitudes, tous les regards, toutes les couleurs qu’adopte la nature, ainsi que le sens intime contenu dans tous les objets qui s’offrent à la contemplation de l’œil humain », ou encore, et principalement, « d’avoir ajouté des forces à la poésie française, d’en avoir agrandi le répertoire et augmenté le dictionnaire, sans jamais manquer aux régies les plus sévères de sa langue », s’il ne parlait peut-être pas très bien, le disciple se mirait dans l’éloge qu’il décernait à son maître. Et foncièrement pessimiste, il n’avait pas attendu pour s’inspirer de Vigny, tout en le dégradant, qu’une main pieuse eût réuni les Destinées en volume, et il avait déjà transposé dans sa langue réaliste ce qu’il y a d’horreur ou d’effroi de la nature dans la Maison du berger, par exemple, ou de haine de Dieu dans le Christ au mont