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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.

posé sa Pucelle, qu’il n’a faite que pour les imiter ! Mais quand, en revanche, Boileau, dans l’Andromaque de son ami Racine, critiquait les « défauts » du caractère de Pyrrhus — qu’il trouvait trop semblable encore à un héros de Mlle de Scudéri, — cela servait à Racine pour mieux peindre, sous des traits plus naturels et plus vrais, l’Achille de son Iphigénie. En d’autres termes encore, s’il y a des beautés dont le propre est d’être inimitables, la critique n’en est pas « féconde » ; elle en peut même devenir aisément dangereuse. C’est ce que prouverait au besoin l’exemple du classicisme lui-même, qui ne s’est, après tout, immobilisé dans ses régies que pour avoir trop admiré, d’une admiration trop exclusive et trop superstitieuse, les chefs-d’œuvre dont nous avons vu qu’il les avait tirées. Mais s’il y a des défauts, et il y en a, qui ne sont pas nécessairement le revers ou la rançon de certaines qualités, on peut donc s’en défendre, et la critique n’en est pas « stérile ». Il n’en a pas mal pris à l’auteur du Génie du christianisme d’avoir quelquefois écouté les conseils de Fontanes, et si les romantiques en général eussent à leur tour écouté les avis de Sainte-Beuve, j’ai quelque peine à croire qu’ils ne s’en fussent pas bien trouvés.

Maintenant, si l’on veut dire que la critique unique des défauts serait un témoignage à la fois d’étroitesse et d’insensibilité, on a évidemment raison. Elle implique encore une confiance dans l’autorité des règles tout à fait étrangère à l’esprit de la véritable critique. Et enfin, et surtout, comme elle suppose, ou comme elle en arrive toujours immanquablement à poser qu’on ne saurait jamais négliger ou